L’acrobatie en aile delta

Tout d’abord ce texte n’a pas pour objectif d’engendrer de nouvelles vocations d’acrobates, mais de mettre en garde les pilotes motivés pour découvrir ce qui peut être fait dans ce domaine avec une aile delta.

Ces dernières années ont vu la disparition de deux jeunes pilotes lors de manœuvres acrobatiques. Il est probable que le manque de pilotes référents pouvant leur donner quelques conseils de base soit en partie la cause de leur accident.

INTRODUCTION

Le delta étant déjà une activité stressante et risquée, la voltige implique un engagement, un stress et un risque supérieurs à une pratique normale. L’apprentissage vise à réduire le stress et le risque, sans pouvoir les éliminer complètement. Il y a donc lieu de s’interroger sérieusement sur ses motivations avant de se lancer. Concrètement, peu de pilotes experts en voltige ont su éviter totalement un quelconque accident. Ceci étant posé, la voltige procure aussi des sensations uniques valant la peine d’être vécues. Voir pour la première fois l’horizon apparaître au-dessus du ciel ne s’oublie pas ! Mais la machine n’est absolument pas prévue pour et l’erreur peut coûter très cher.

Les constructeurs de deltas déconseillent formellement la voltige https://www.willswing.com/aerobatics-in-hang-gliders-understanding-operating-limitations/ . Des avions et planeurs sont certifiés spécialement, grâce à une géométrie globalement adaptée (empennage, harnais) et une structure délibérément renforcée. Non seulement le constructeur engage sa responsabilité, mais également les autorités de régulation aérienne. Rien de tel n’existe en delta. Entre autres raisons, la géométrie de l’aile avec peu d’amortissement en tangage (empennage remplacé par les bouts de plume souples) et une inadaptation évidente au vol sur le dos. Etre pendu sous l’aile avec un écart non garanti aide a priori le départ du tumbling.

Bien sûr, les témoignages sont nombreux de boucles réussies, donc c’est possible et même avec une relative sécurité, à condition de rester conscient des limites et du fait que la machine n’est pas adaptée, avec de faibles marges qui pardonnent peu.

1/ CADRE

La voltige est une prise de risque : l’aile n’est ni conçue pour, ni adaptée. La pire configuration est peut-être la glissade latérale (série de 6 photos en bas de la page en lien ci-dessus) dont l’issue ne laisse guère d’espoir. Or un simple wing-over sur la tranche un peu trop mou peut y conduire.

Pour tous les essais, l’air doit être lisse, car des turbulences traversées à 100 km/h peuvent au moins déconcentrer, sinon induire des erreurs moins acceptables qu’en vol normal. Le pilote a une bonne expérience en cross country et une bonne connaissance de son matériel.

L’aile est en bon état (câbles latéraux récents). Une aile avec mât, poche de quille et câbles de rappel peut pardonner de nombreuses erreurs, mais restitue moins d’énergie. Les ailes sans mât ont beaucoup de vitesse et de restitution d’énergie, mais pardonnent moins dans les glissades en arrière ou sur la tranche.

Certaines ailes produisent un rappel très élevé sous charge en début de ressource, à cause d’extérieurs de bord d’attaque trop souples. La pression dans la barre de contrôle devient alors énorme et la cadence est très difficile à doser. C’est incompatible avec la voltige. Ce phénomène intervient théoriquement avec toutes les ailes au-dessus d’une certaine charge, mais des transversales suffisamment longues et des extérieurs de bord d’attaque assez rigides le retardent en principe.

Le rappel au neutre doit être positif sur toute la plage de vitesse. Pour cela, l’overdrive sera tendue (taquet coinceur fiable) mais éventuellement pas complètement pour garder un rappel positif à vitesse maximale (s’il disparaît overdrive tendue à fond).

Le harnais est aussi en bon état, un harnais souple étant préférable.

Enfin la vidéo, idéalement embarquée, rend la progression plus sûre et objective. Un souci est en effet que les sensations fortes empêchent d’être lucide et d’analyser finement les ressentis en vol. Lors des débuts, le pilote est souvent convaincu d’avoir fait ceci ou cela alors que les observateurs au sol ont vu quelque chose de bien différent. La vidéo permet de reconnecter le ressenti avec la réalité pour pouvoir avancer.

Il est prudent de travailler au-dessus d’une forêt dense de feuillus ou d’un plan d’eau avec équipe de secours, cela peut sauver en cas improbable de rupture d’aile et problème de parachute. La voltige s’apprend haut, pour avoir le temps de réagir.

RESUME

1/ conditions lisses

2/ matériel au point

3/ débriefing vidéo

2/ POSITION DE SECURITE

La situation est compromise sous une aile cassée, mais auparavant, être arrêté sur le dos est déjà critique. Pourtant, il est possible de rester quelques instants sur le dos sans casser l’aile, pour peu que l’on ait la bonne réaction, la position de sécurité.

Lorsqu’une aile ne vole plus, la force qui s’exerçant sur elle n’est plus de la portance au centre de poussée en avant, mais de la traînée au centre de surface, vers l’arrière. Si l’on pousse, on se rapproche du centre de surface, le système devient équilibré et entretient naturellement le tumbling.

Il serait mieux de tirer, mais on ne peut alors pas empêcher le corps de tomber dans l’aile lorsqu’elle est sur le dos. La moins mauvaise solution est de verrouiller la barre de contrôle à la poitrine. On peut ainsi retenir la barre avec le maximum de force et se maintenir à l’écart de la quille et des montants. Un harnais souple permet de se regrouper en boule, mais même en gardant le corps droit, la barre à la poitrine place le poids très en avant du centre de surface. Plutôt que de partir en tumbling, l’aile va alors s’appuyer sur le dos pour sortir en plongeon.

Ce piquer repasse rapidement en positif avec une grosse prise de vitesse qui doit être évacuée. Garder la barre à la poitrine provoquerait une ressource très violente, donc lorsque l’aile est en piquer positif on tire franchement, puis on relâche très lentement pour revenir à une assiette normale.

RESUME

1/ barre à la poitrine et attendre

2/ tirer dans le plongeon

3/ relâcher doucement

3/ VITESSE

Mise à part la vrille, les figures de voltige se déroulent habituellement à des vitesses nettement supérieures à celles du vol de distance. Il est rare de dépasser 80 km/h en transition dans les meilleures conditions thermiques, or à cette vitesse, on ne peut quasiment rien entreprendre en voltige. Un wing-over parfait est peut-être envisageable à partir de 90, mais 110 est une vitesse plus classique en voltige. Comme on ne vole jamais à ces vitesses en vol de distance, il faut s’y accoutumer. Le plus simple est de profiter d’une haute altitude en fin d’après-midi, ou d’un dynamique bien lisse en bord de mer pour explorer progressivement les grandes vitesses et y rester jusqu’à s’y sentir en confiance.

Plusieurs régimes de vitesse sont accessibles en delta, certains de façon stabilisée, d’autres de façon transitoire. 110-120 km/h est la vitesse maximale stabilisée d’une aile performante, et cela convient pour aborder la voltige, mais il est possible parfois de dépasser ces vitesses. Le plongeon en sortie d’un wing-over ou d’une boucle permet d’atteindre 140-150 km/h si l’on tire agressivement, l’aile pouvant rester dans un plongeon « hésitant ». Très peu chargée et relativement dévrillée, l’aile a un rappel au neutre très faible et accepte d’accélérer jusque là. Le problème est alors: que faire?

Lorsque le pilote revient en charge sous l’aile, elle recommence à se vriller et les ennuis commencent. A ces vitesses extrêmes, la pression dans la barre devient vite énorme. L’aile amorce la ressource et le pilote subit une force centrifuge considérable à laquelle s’ajoute bientôt son poids en bas de la ressource. Ceci est typiquement la situation de divergence évoquée plus haut. Sous la charge, les extérieurs de bord d’attaque tendent à s’effacer, le centre de portance de l’aile migre vers l’avant, le rappel au neutre, la pression dans la barre  et les g augmentent encore et ainsi de suite.

Suivant le cas, ceci peut aller d’une expérience angoissante de perte de contrôle jusqu’à l’explosion pure et simple, en passant par un retour de barre dans la gorge du pilote incapable de soutenir sa tête, ou dans son visage, avec divers saignements des yeux et du nez dûs aux g…

RESUME

1/ s’habituer à la vitesse

2/ voler assez vite

3/ mais pas trop

4/ CADENCE

Pour éviter de s’arrêter sur le dos et rester en positif au sommet des figures, la meilleure sûreté est de garder de la vitesse. Sur les ailes modernes, il suffit de tirer brusquement, ou ralentir, puis tirer brusquement, sans décrocher car on risque alors un piqué négatif qui ne donne pas plus de vitesse, mais plus de stress ! La position groupée n’est pas nécessaire pour la prise de vitesse, rester allongé diminue le nombre de gestes à exécuter, mais le harnais souple facilite la position de sécurité.

Ensuite cela prend du temps pour accélérer à une bonne vitesse d’environ 110 km/h. On peut compter (plus longtemps pour la 1re prise de vitesse) ou écouter le sifflement des câbles. Le ton monte rapidement, puis plafonne, alors la vitesse est suffisante pour les figures.

On est en piquer. Si l’on relâche la barre trop brutalement, on dépasse 5-6 g qui sont un maximum pour retenir sa tête et ne pas trop déformer l’aile, car la force centrifuge augmente avec le carré de la vitesse. Lorsqu’on arrive en bas de la ressource, la vitesse a diminué, mais on ajoute 1 g de pesanteur, donc on reste encore doux avec la barre. Dans la montée, il n’y a plus de risque de dépasser 6 g et on peut avancer la barre plus franchement.

L’important est de ne pas penser : je dois tourner de 360 ° dans un plan plus ou moins vertical, je dois démarrer maintenant, mais : je dois retenir l’énergie de mon aile. Il faut relâcher la barre doucement jusqu’à être en montée, où la barre accélère, et avec la vitesse conservée, la sortie de la figure est rapide et facile.

Pour y parvenir, on fait un grand nombre de wing overs avec un faible angle au sommet, à peine plus de 90 °. Avec de l’expérience, le mouvement devient fluide, toujours avec de la vitesse et en restant en positif. On remarque que la 1re moitié de la figure s’effectue en relâchant la barre de seulement 10 cm. Puis, si l’énergie a été bien gérée, la barre va rarement avancer au-delà de la poitrine ou des épaules avant la sortie de figure et la reprise de vitesse.

RESUME

1/ tirer et écouter

2/ relâcher DOUCEMENT, puis un peu plus rapidement

3/ retirer au sommet

5/ WING OVER

Un wing-over est le mélange d’une boucle et d’un virage. Pour y parvenir, on fait un grand nombre de wing overs avec un faible angle au sommet, à peine plus de 90 °. On décale le corps quand on commence à relâcher la barre, puis on reste sur le côté et on retire lorsque l’on arrive au sommet de la figure. Avec de l’expérience, le mouvement devient fluide, toujours avec de la vitesse et en restant en positif.

Une question souvent posée est celle de l’angle de passage au sommet du wing, comment le connaître ? Naturellement, le regard est attiré vers le sol à l’intérieur du virage et il est alors difficile de répondre. Il suffit donc logiquement de garder la tête dans l’axe au lieu de se rassurer avec la référence sol, pour voir le plan de l’aile croiser l’horizon précisément à l’angle recherché. Le fait de se maîtriser suffisamment pour pouvoir contrôler sa tête est un bon critère de progression.

Quand on a pris confiance aux environs de 90°, on peut aborder des angles plus engagés en décalant le corps un peu plus tard dans la figure, puis encore plus tard. On passe ainsi d’un wing over à 90 ° à un vrai passage sur le dos à 135° ou plus, avec tous les éléments de vitesse, de cadence et de pression dans le harnais inchangés par rapport aux étapes précédentes réussies.

Un thème revient souvent, la douceur et la progressivité. Tout tirer puis tout pousser a peut-être fonctionné pour les pionniers, mais avec les ailes actuelles c’est la recette pour tout casser, prudence !

RESUME

1/ tirer et écouter

2/ relâcher DOUCEMENT, puis un peu plus rapidement

3/ retirer au sommet

6/ BOUCLE ET BARRIQUE

La boucle est la suite logique de la progression. Un décallage du poids tardif donne un wing over très engagé sur le dos, presque à 180°. C’est une boucle manquée, mais les paramètres de vitesse, cadence et pression dans le harnais restent les mêmes quel que soit l’angle au sommet. Il ne reste alors plus qu’à supprimer le décallage du poids. Il peut arriver de ressentir une secousse à la sortie de la boucle, on vient juste de passer dans son sillage !

Arrivé là, la peur est vaincue mais le travail n’est pas fini, car il y a boucle et boucle. Ressource brutale, arrêt sur le dos et obligation de se cramponner à la barre ou boucle fluide et facile comme les champions. Il faut alors revenir aux éléments appris auparavant et les paufiner, en particulier la cadence. Les vidéos sur la toile montrent le pire comme le meilleur. Faire correspondre les images et les sensations est difficile, c’est l’objet de ce travail : le but n’est plus seulement une boucle, mais une belle boucle, et si possible plusieurs d’affilée, en sentant que l’aile passe bien et que rien ne force.

Il existe aujourd’hui une figure encore plus avancée, le tonneau barriqué, possible seulement avec les ailes des dernières générations alliant hautes vitesse et rétention d’énergie avec grande maniabilité y compris overdrive tendue. On peut jouer avec le roulis pendant la figure en amorçant la ressource d’un côté pour ensuite passer le corps de l’autre côté. Le résultat est une amorce de wing over d’un côté suivie d’un wing over de l’autre côté pendant la montée. Finalement, l’aile passe sur le dos à environ 180°, mais au lieu que le passage au sommet revienne vers le point d’entrée, c’est la sortie de la boucle qui le fait. En toute rigueur, cette figure est un demi tonneau barriqué suivi d’une sortie de boucle.

RESUME

1/ retenir la barre

2/ chercher la fluidité

3/ enchaîner

7/ VRILLE

Là aussi, l’overdrive est tendu. Chaque aile a un comportement différent. Pour déclencher la vrille, on peut ralentir dans un virage à plat. Comme la plume intérieure décroche avant l’extérieure, l’aile delta commence à vriller. L’aile est décrochée et stabilisée par la rotation, mais en décrochage, elle cherche à reprendre sa vitesse, aussi il faut pousser pour maintenir la vrille.

La plage d’incidence dans cette figure est étroite, donc avec certaines ailes on pousse sur la barre, avec d’autres il faut pousser sur les montants. Si l’on ne pousse pas assez, l’aile reprend son vol et arrête de tourner, mais si l’on pousse trop, l’aile s’arrête aussi de tourner, et là c’est beaucoup plus dangereux, car en décrochage, l’aile ne demande qu’à partir en tumbling. Quoi qu’il arrive, dès que la rotation s’arrête, ne surtout pas insister et au contraire reprendre sa vitesse.

Si l’on se décale vers l’intérieur, l’aile se remet en vol immédiatement car la plume intérieure recommence à voler. Pour verrouiller la vrille, il faut au contraire se décaler vers l’extérieur et continuer à pousser. Pour sortir, il suffit d’arrêter de pousser et revenir au centre.

L’assiette varie en fonction de l’aile, ainsi que l’angle de roulis et la vitesse de rotation, la position à la barre ou aux montants, au centre ou à l’extérieur. Il faut trouver les bons éléments pour son aile. Une légère turbulence suffit à déstabiliser une vrille, car cette figure est très sensible. D’autre part les ailes récentes sont conçues pour éviter la vrille, elle est alors très difficile à maintenir. Si pour une raison quelconque, l’aile tente de recommencer à voler, se souvenir que c’est naturel, la laisser faire et recommencer plus tard.

RESUME

1/ ralentir

2/ pousser et décaler à l’extérieur

3/ ne pas insister

CONCLUSION

Des millions de gens vivent très bien sans voler, a fortiori sans faire de voltige. Il faut être bien sûr de sa motivation avant de se lancer dans cette activité, car l’engagement peut se traduire par une rupture de l’aile, des blessures ou la mort. Se sentir à l’aise à chaque étape, sans tricher avec soi-même, avant de progresser vers la suivante. Gérer son stress avant d’apprendre de nouveaux gestes et sensations, ou bien l’on risque une mauvaise réaction en cas de problème. En tout état de cause, si la situation se dégrade, en particulier une perte de vitesse alors que l’on est sur le dos, la POSITION DE SECURITE peut éviter le tumbling et l’ouverture du parachute. Ne pas banaliser des figures modérées de type huit paresseux ou wing-overs à 90 °, elles peuvent se terminer par une glissade sur la tranche où la position de sécurité ne sert malheureusement à rien.